Pourquoi de plus en plus de maires jettent-ils l’éponge ?

Par Juliette AMEY

De plus en plus de maires et conseillers municipaux quittent leur fonction avant la fin de leur mandat. Le phénomène est national et alarmant. Dans l’Allier, 30 municipalités sont touchées. Entre conflits à répétition, manque de financement et lourdeurs administratives, les maires n’arrivent plus à suivre le cap.

Portrait de Jean-Dominique Barraud.
Jean Dominique Barraud, ancien maire de Lavoine, Crédit : D. R.

« On a une pression permanente. Quand tu es maire, tu n’as pas d’arrêt. Si tu as un incident dans ta commune, peu importe l’heure, tu y vas. Personne d’autre n’ira à ta place. Maire, c’est 24 h sur 24. Tu te lasses à force », lance Jean-Dominique Barraud. À l’instar de l’ancien maire de Lavoine, une petite commune rurale de la montagne bourbonnaise, 1 424 maires ont démissionné de leur mandat entre leur élection en 2020 et le 31 janvier 2024, selon un rapport du Sénat.

Ce chiffre est l’une des conséquences d’une crise municipale multifactorielle. Dans L’Enquête ELUSAN sortie en octobre 2024, l’Association des maires de France (AMF), en partenariat avec l’institut de sondages CEVIPOF et le CNRS, expose les différents facteurs de ces nombreuses démissions. Multiplication des conflits au sein du conseil municipal, inflation normative, usure de la fonction… Selon les témoignages d’élus recueillis par les auteurs de cette étude, être ​maire aujourd’hui n’a plus la même saveur qu’autrefois. Au point que certains n’attendent plus la fin de leur mandat pour rendre leur tablier. Qu’en est-il dans les départements du Puy de Dôme et de l’Allier ?

Sur les 317 communes du département de l’Allier, 36 ont connu une coupure de mandat : six liées à un décès et trente à une démission. Pour François Fradin, directeur de l’association des maires de l’Allier, cette crise prend de l’ampleur : « Si on cumule les démissions de conseillers municipaux, d’adjoints et de maires, on dépasse les 400. Cela signifie que près de 10 % des élus de collectivités locales dans le département de l’Allier ont démissionné au cours de ce mandat. »

La plupart de ces départs anticipés seraient avant tout liés à des passages de témoins. « Ce sont des maires qui prennent un peu d’âge et qui veulent installer quelqu’un de confiance à leur place avant leur fin de mandat », signale le directeur de l’association. Mais, pour Flavien Neuvy, président de l’association des maires du Puy de Dôme, ces départs anticipés seraient aussi d’ordre conflictuel, économique ou institutionnel. « De moins en moins de compétences et d’argent disponibles, une agressivité de certains concitoyens envers leurs élus et une complexité normative complètement folle, si vous mettez tout ça bout à bout, vous avez des élus qui jettent l’éponge », regrette-t-il.

Des conflits à l’intérieur du Conseil municipal 

Dans l’Allier, « sur les 36 communes, une dizaine de maires démissionnent à cause de tensions au sein du conseil municipal », déplore François Fradin. Hydsest une petite municipalité bourbonnaise d’environ 300 habitants.Jean-Pierre Fournier y a été élu maire en 2020. Mais après des conflits à répétition au sein du conseil municipal, l’agriculteur de 58 ans a donné sa démission à la préfecture le 12 août 2024. « Une conseillère a été insolente envers la secrétaire de mairie à une réunion de conseil municipal. J’ai voulu recadrer les choses et la première adjointe, actuellement maire de la commune, a défendu cette conseillère et s’est détournée de moi en entraînant une partie du conseil avec elle », raconte l’ancien maire. 

L’animosité des élus envers le maire a empêché de mener à bien plusieurs projets. « En tant que commune, on se doit aussi d’assurer un service de qualité. Pourtant, une partie des élus mettaient plus en avant leurs griefs personnels. C’est devenu intravaillable. Il y a plein de projets que j’avais envie de mettre en place, mais je n’osais plus proposer car je savais que beaucoup ne me suivraient pas. C’est comme mettre un coup d’épée dans l’eau », se désole-t-il. Jean-Pierre Fournier a trouvé une échappatoire dans les réunions intercommunales avec les autres maires. L’occasion pour lui d’échanger sur leurs expériences respectives. « Je me sentais moins seul et mieux compris », conclut-il.

Le maire de Hyds n’a pas été le seul à quitter sa fonction d’élu, deux autres conseillers municipaux ont suivi ses pas. Aujourd’hui, c’est la première adjointe, Catherine Champomier, qui est en fonction à sa place.

« Ce n’est pas aux administrations de nous commander »

Au-delà des conflits, les élus doivent aussi faire face à une augmentation considérable des normes administratives contraignant leur action.

Jean-Dominique Barraud a tenu les rênes de la petite commune de Lavoine, 150 habitants, pendant 34 ans. Aujourd’hui, à 68 ans, ce gérant de scierie se dit usé par la fonction et lassé des lourdeurs administratives. Cette complexité l’a empêché​ d’exécuter bon nombre de ses projets. « Aujourd’hui, il faut attendre au moins deux ans pour que nos projets fassent le tour de toutes les administrations. Avant, il suffisait d’une signature et c’était réglé », souligne-t-il. 

Ce constat, le président de l’association des maires du Puy de Dôme, Flavien Neuvy, le fait aussi : « Ces dernières années, il y a eu une mise en place de beaucoup de nouvelles règles, qui évoluent en permanence et qu’il faut respecter. Elles rendent le quotidien des élus impossible. Cette augmentation de la paperasse leur demande plus de temps. Avec ça, difficile pour eux de mener à bien leurs projets. » L’ancien maire de Lavoine n’a pas sa langue dans sa poche quand il faut exposer des solutions : « Moins d’administratif ! Aujourd’hui, c’est trop le bazar. Les maires ne savent pas où ils en sont. Si tu es maire, c’est toi qui as la responsabilité de la commune. Ce n’est pas aux administrations de nous commander. Les maires doivent pouvoir dire ce qu’ils ont à faire ».

« En plus de leviers d’action laborieux, les maires ont de moins en moins de moyens financiers » Flavien Neuvy, président de l’Association des maires du Puy de Dôme

Pour Flavien Neuvy, les collectivités territoriales sont aussi mises à rude épreuve sur le plan financier : « En plus de leviers d’action laborieux, les maires ont de moins en moins de moyens financiers pour mener à bien leurs projets. » D’après un communiqué de l’AMF, « le rapport de force s’est de nouveau installé entre l’État et les collectivités locales sur fond d’incompréhension et de désaccords sur l’utilité sociale des dépenses publiques locales ».

Corollaire des insuffisances budgétaires, les indemnités touchées par les élus municipaux ne sont pas très élevées. Jean-Dominique Barraud souligne le montant dérisoire de sa pension de retraite de maire. « N’être que maire, ça ne rapporte pas assez. À mes débuts, je touchais 300 euros. Au bout de 34 ans de fonction à la mairie avec des vice-présidences de communauté, ma retraite ne s’élève qu’à 200 euros. Et il y en a encore qui pensent qu’on fait cela pour le fric », s’indigne-t-il.

« Je ne suis pas maire pour être la cible de menaces »

S’ajoute à ces avanies l’agressivité de certains administrés. « Pour être maire, il faut avoir un bon caractère et mais aussi savoir trancher, même si ça ne fait pas toujours plaisir à tout le monde », indique l’ancien maire de Lavoine. Or, ces prises de décisions peuvent susciter des débordements de la part de la population. Flavien Neuvy constate ce phénomène dans son département, le Puy de Dôme : « Cette violence verbale et parfois physique fait dire à beaucoup de maires : je ne suis pas maire de ma commune pour être la cible de menaces en tout genre. Et malheureusement, avec les réseaux sociaux qui sont très désinhibiteurs, ces cas se sont multipliés. » Ce sentiment-là, Jean Dominique Barraud le connait bien : « Des fois, tu as des copains que tu connais depuis l’enfance, ils te demandent quelque chose et tu dois leur dire non. Ça secoue un peu. »

Dans certains cas, le maire n’a pas toujours la main sur tout. À Mur-sur-Allier, dans le Puy de Dôme, les trois-quarts du conseil municipal ont déposé leur démission. « Sur les 21 conseillers, 15 ont démissionné. Les raisons, je dirais, sont dues aux ambitions personnelles de certains. Cela a eu un effet boule de neige », souligne Jean Delaugerre, maire de la commune. Ce dernier, non démissionnaire, a dû subir cette décision.  En effet, il suffit que 30 % du conseil municipal démissionne pour provoquer des élections anticipées. Il faut alors recomposer entièrement le Conseil avec un nouveau maire et de nouveaux adjoints. À Mur-sur-Allier, la liste soutenue par le maire sortant a été battue le 15 décembre dernier par celle conduite par les conseillers démissionnaires.

Juliette Amey